Radioscopie – Giani Esposito – 27/04/1970 – Page 8

 

J.C. : mais dans une discothèque, votre disque, vous voudriez qu’on le range à quel endroit, à côté de qui ?

G.E. : Il est difficile à caser, je m’en rends compte. Il a une couleur classique, comme dans le cas de l’enregistrement de Ravier. J’aimerais que ce soit tout simplement dans la variété, pourquoi pas ?

J.C. : Brel, Brassens…

G.E. : Comme compagnons ?

J.C. : Léo Ferré ?

G.E. : Ecoutez, chacun de ces êtres a fait une ou deux chansons que je trouve extraordinaires. Ce que je ne comprends pas, dans le cas d’un homme comme Brel, ou de Ferré qui sont deux êtres qui ont fait des chansons que j’aime beaucoup, soit ils s’aigrissent, soit ils deviennent justement un peu amers ou révoltés, ou… je voudrais qu’au contraire ils s’épanouissent, que cela sonne de plus en plus chaud. C’est dommage, je regrette. C’est pour cela que je ne peux pas vous dire que je voudrais être comme eux, non, je ne voudrais surtout pas tomber dans ce piège. Je vais peut-être y tomber, parce que tout le monde a l’air d’y tomber !

J.C. : Vous voulez être Giani Esposito. Et ça, c’est un commencement d’orgueil ?

G.E. : Non, j’étais conscient que votre question me pousserait à avoir cette attitude, mais ça ne fait rien, je l’assume. Je voudrais être un homme.

J.C. : Giani Esposito, je vous sais en quête de Dieu, d’autres l’ont rencontré, pas vous…

G.E. : Oui, rencontrer Dieu c’est une phrase… c’est une phrase un peu occidentale…

J.C. : “Dieu existe, je l’ai rencontré.”

G.E. : Ce sont des phrases auxquelles je n’adhère pas tellement. Au fond, Dieu, c’est une recherche de chaque instant. Ce n’est pas une valeur stable qu’on a fixée… ou alors, on se repose sur une religion, dans un dogme. Il y a un poème dans ce nouveau disque… j’enregistre aussi des poèmes dans ce disque, qui commence par ” Qui “. Et Qui en hébreu, ça se dit ” Mi “, et c’est un nom de Dieu. C’est un nom de Dieu qui, je ne sais pas… me touche profondément. C’est à la fois une question… le fait même de poser cette question, c’est une réalité, et on existe et on peut, par rapport à cette question, déjà orienter entièrement sa vie.

J.C. : Dieu, vous le voyez au stade de l’homme ?

G.E. : Dans l’homme, il est dans l’homme, en dehors de l’homme, bien sûr, il est partout.

J.C. : Giani Esposito, il y a toujours ces phrases qui moi, personnellement, me plaisent. Il y a celle-ci, par exemple : “Qu’est-ce que l’homme ? Nos pieds baignent dans l’eau mais la source est cachée.”

G.E. : Oui, c’est une chanson, effectivement.

J.C. : Oui, mais lorsqu’on prend vos chansons, on peut les décortiquer.

G.E. : Ca me fait plaisir ces extraits. Je ne me suis pas amusé à extraire des phrases comme ça, effectivement on peut très bien parler une heure, il faut recommencer Radioscopie.

J.C. : Ensuite, il y en a une autre : “…l’orgueil, ces quatre murs,… il n’est pas de prison où l’on soit aussi seul.”

G.E. : Voilà…

J.C. : C’est parce que vous pensez…

G.E. : Je pense, notre émission a commencé sur la solitude. Je vous ai dit que je ne me sentais pas seul. Je ne me sens pas seul et je ne me sentirai pas, je crois, seul tant que je tiendrai ce cap dont je vous parlais, tant que je me mesurerai à des êtres qui sont au-dessus de moi. A ce moment là, on n’est pas seul, on se sent même plutôt protégé.

J.C. : Mais si on se réfère à cette phrase, on s’aperçoit que la solitude, c’est beaucoup d’orgueil…

G.E. : Enfermé dans notre orgueil, on est seul.

J.C. : Mais, c’est la solitude qui est de l’orgueil.

G.E. : Non. D’après moi, c’est une conséquence de l’orgueil. Si on n’est pas orgueilleux, on ne peut pas se sentir seul. On baigne dans une vie cosmique, c’est extraordinaire. C’est même pas… J’aime beaucoup la nature, mais il y a plus que la nature, vraiment, il y a le Cosmos, il y a…

J.C. : l’au-delà ?

G.E. : Et l’au-delà, aussi… c’est autre chose ça.

J.C. : Giani Esposito, est-ce que vous avez attendu longtemps pour être vous-même ?

G.E. : D’abord, le suis-je vraiment maintenant ? Je serais très heureux si je pouvais en être sûr, mais ça s’est fait progressivement avec la vie, avec les épreuves, avec les joies. Je ne peux pas vous dire ce qui a déclenché cet état.

J.C. : Il y a une vie privée que vous ne pouvez pas refuser. Vous ne pouvez pas refuser de parler de Pascale Petit.

G.E. : Bien sûr que non. Pourquoi refuserais-je d’en parler?

J.C. : Je sais que la plupart du temps cela vous gêne.

G.E. : Non, ça me gêne, je vous dit, d’en parler dans certains articles. Pour ces questions, j’aime mieux le direct parce qu’à ce moment là, mes silences ne seront pas remplis par des phrases, ils seront remplis par mes silences.

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