Radioscopie – Giani Esposito – 27/04/1970 – Page 5

 

J.C. : Oui, mais vous vous éloignez ?

G.E. : Je ne crois pas, autrement je me sentirais alors, pour employer le fameux mot, ” aliéné “, alors que je ne me sens pas du tout aliéné. Non. Je ne participe pas à certains courants, d’accord. D’abord, j’ai la grande chance de ne rien posséder. A quarante ans, c’est rare, je me rends compte.

J.C. : Vous ne voulez rien ?

G.E. : Ce n’est pas que je ne veux rien, j’ai eu, ça eut pu, comme dit l’autre… J’ai eu, puis je n’ai plus eu, j’aurai de nouveau peut-être puis je n’aurai plus de nouveau … J’aimerais arriver à ce stade, ça, je ne sais pas si je suis capable…

J.C. : Vous êtes attaché à ce qu’on appelle les biens de ce monde ?

G.E. : Non.

J.C. : Par désintéressement ?

G.E. : Non, je suis attaché à ce qui dépend de moi. Cà, je crois c’est un côté malin que j’ai, le côté napolitain peut-être. Je ne veux pas dépendre de choses extérieures, parce qu’on peut me les enlever, la vie me l’a prouvé. Par contre, si c’est.. en ce moment, à quarante ans bientôt, je me suis mis à apprendre la guitare, à zéro vraiment, comme à vingt ans j’ai appris à zéro le piano et çà, c’est ma grande… je me sens riche, mais vraiment riche à cause de ce… bon, j’ai une belle guitare, je me suis offert une belle guitare. J’ai une vieille voiture, mais j’ai une belle guitare.

J.C. : C’est pour toujours vous dépasser ?

G.E. : Ce n’est pas concerté. J’ai éprouvé ce besoin… j’ai vécu cet hiver deux mois à Saint Aubin, en Normandie, au bord de la mer, et j’ai énormément souffert de ne pas avoir pu trouver un piano.. et je me suis dit : il me faut un instrument, un compagnon ou une compagne. C’est féminin la guitare… c’est assez… C’est un pôle féminin.

J.C. : On dit parfois que les Napolitains ont mauvaise réputation. Vous ne l’avez pas épousé, tout çà ?

G.E. : Oui, mauvaise… enfin… oh, je dois avoir çà en moi. Cà doit être tempéré par le côté français de ma mère, même, ma grand-mère alsacienne… Voyez, il y a beaucoup de mélanges. Naples c’est très spécial. Il y a des tas d’Italiens qui n’aiment pas les Napolitains. Il y a du Grec dedans, il y a beaucoup d’Orient dans le Napolitain je crois.

J.C. : Giani Esposito, est-ce que vous ressentez le besoin de vous frotter à la jeunesse ?

G.E. : … J’hésite non pas sur le besoin mais sur le frottement. Parce que j’éprouve le besoin et j’ai la chance même d’avoir des contacts extrêmement faciles avec les jeunes. Je ne me frotte pas, enfin je me sens avec eux et comme eux et surtout en ces derniers temps, c’est très curieux, hier encore et l’autre jour aussi, dans la rue, des jeunes qui m’arrêtent et qui me parlent justement de ce disque, les Quatre Eléments, en citant par cœur des phrases… ça, ça me fait plaisir, alors qu’il y a énormément de gens qui ignorent totalement ce disque. Je ne vous cache pas que j’ai beaucoup de difficulté à le faire passer…

J.C. : A le faire passer à la radio par exemple ?

G.E. : Et pourtant chaque fois que c’est passé, il y a eu des échos et les gens le redemandaient… mais c’est difficile ! On pense que c’est pour une élite et moi je suis convaincu qu’il n’y a pas d’élite, il y a une élite en chacun de nous. J’ai envie…

J.C. : Il faut gratter…

G.E. : …d’œuvrer pour cette élite qu’il y a en chacun de nous, je dis bien. Il y a un moment d’élite si vous voulez, il y a un lieu d’élite et un moment d’élite. Et cela il faut le trouver.

J.C. : Vous faites difficile.

G.E. : Qu’est-ce que je fais de difficile ?

J.C. : Vous travaillez d’une manière difficile, vous vous imposez des choses difficiles.

G.E. : Je ne crois pas, je crois que je le travaille naturellement.

J.C. : Lorsqu’on regarde les phrases de vos chansons…

G.E. : Elles sont très claires vous savez…

J.C. : Je dis bien qu’elles sont claires, mais on a l’impression qu’on pourrait les tirer une à une toutes et en faire justement, comme vous disiez tout à l’heure, des aphorismes.

G.E. : Eh bien, tant mieux.

J.C. : Est-ce que vous le sentez, est-ce que vous le remarquez ?

G.E. : Non.

J.C. : Lorsque vous écrivez, vous n’y pensez pas un peu, vous vous dites : il faut que ça reste.

G.E. : Non.

J.C. : … je vais inscrire une belle phrase.

G.E. : Non, pas du tout. Alors ça… La forme, et Dieu sait si j’y travaille, ne prend jamais le dessus sur le fond. J’écris une pièce en alexandrins depuis cinq ans, c’est vraiment l’œuvre du Facteur Cheval, j’ai l’impression d’être un maniaque, je polis, je repolis… C’est une joie, mais je ne travaille pas pour la postérité. C’est parce que je… c’est comme un radar qui est en nous. Cela se passe au niveau du plexus. Je ne suis pas un intellectuel du tout, contrairement à ce que vous pensez ou qu’on peut croire. C’est instinctif.

J.E. : Est-ce que vous connaissez votre public ?

G.E. : Je commence, je commence à le connaître, c’est celui des gens qui ont souffert. Cela va de vingt ans à… excusez-moi, cela va de huit ans car j’ai des preuves d’enfants qui passaient des après-midi à écouter ce disque. Entre autres le fils d’un réalisateur de la Radio.

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