Radioscopie – Giani Esposito – 27/04/1970 – Page 4

 

J.C. : C’est dur d’être l’ami de Giani Esposito ?

G.E. : Apparemment pas. Non je ne crois pas, je suis fidèle en amitié.

J.C. : Puisque vous exigez beaucoup.

G.E. : Pas tellement, pas tellement. De moi-même peut être plus. Vous savez j’ai de plus en plus tellement conscience que c’est difficile de vivre et qu’on n’a absolument pas le droit de juger qui que ce soit, ni de savoir par quel chemin untel passe. Faisons lui confiance. Mais on n’est pas comme çà à 20 ans.

J.C. : Mais à certains moments, est-ce qu’il n’est pas trop normal d’être trop bon ?

G.E. : Mais, je voudrais que ce soit normal et je voudrais être trop bon. Je ne me sens pas trop bon vous savez.

J.C. : Vous dites cela sincèrement ?

G.E. : Ah oui ! Sincèrement.

J.C. : Mais de vous, qu’est-ce que vous exigez de vous?

G.E. : Avant tout d’arriver à une certaine simplicité, si vous voulez. A pouvoir être là, nu, propre, avec les autres, devant les autres, pour les autres. Je fais confiance à cette sorte de courant qui passe quand on est vrai en face de quelqu’un de vrai.

J.C. : On y croit ?

G.E. : Oui. Alors là, la vie est merveilleuse à ce moment là, même si c’est fugitif.

J.C. : Vous croyez avoir beaucoup de talent ?

G.E. : Écoutez, je suis conscient d’avoir des dons. Je serais hypocrite si je vous disais que je n’ai pas de don. Mais chez moi c’est très, très laborieux. Vous citiez tout à l’heure une chanson, les Quatre Éléments, eh bien je l’ai portée quatre mois, cette chanson. Elle était plus longue… Quatre mois pour trouver le mot qu’il faut, l’intervalle musical qu’il faut … donc, aucune facilité en tout cas.

J.C. : C’est ça, la rigueur ?

G.E. : Non, je ne me pose pas le problème, j’adore çà, j’adore travailler.

J.C. : Mais tout faire soi-même, ce n’est pas un peu de narcissisme ?

G.E. : Non, puisque les autres disent que justement j’ai fait appel à Charles Ravier et à Barthélémy Rosso…

J.C. : A Krishna aussi ?

G.E. : Krishna pour un texte, mais alors là en général je ne compose pas sur des textes, sauf quand je les ai portés en moi. Et çà, c’est un texte sur l’amour tellement extraordinaire, de même que celui de Saint Paul, que c’est vraiment une jauge, c’est une mesure en moi. Il y a une période de ma vie, ou alors là, pendant deux ans, je me confrontais, ça m’arrive encore maintenant, mais moins souvent parce que je vis une autre période, mais une période difficile en tant qu’homme, et je me confrontais avec ce texte. Et je me disais… Je n’ai jamais été une seule fois en accord avec les paroles de Saint Paul sur l’amour. Quand vous dites que je suis bon, je suis obligé de vous dire que non. Je peux mathématiquement vous prouver que je ne le suis pas, puisque, quand je réponds à une certaine définition de l’amour, je ne réponds plus sur un autre plan.

J.C. : Il y a Saint Paul, il y a Krishna, il y a Soum Noun

G.E. : Et y a Soum Noun. Il y a trois courants de pensée religieuse différente.

J.C. : Un amalgame ?

G.E. : C’est voulu… enfin, cela n’est pas voulu intellectuellement. Ca m’est vraiment naturel de voir qu’il y a une Unité au-delà de toute chose. La pire aberration, je trouve, ce sont les guerres de religion, C’est la chose contre laquelle je bute. Là, je ne comprends pas.

J.C. : Hélas, çà existe encore aujourd’hui.

G.E. : Eh oui.

J.C. : Giani Esposito, à l’intérieur de la pochette de votre prochain disque, vous avez fait inscrire cette phrase assez extraordinaire : “Quand le cœur pleure sur ce qu’il a perdu, l’esprit rit sur ce qu’il a trouvé.”

G.E. : Oui, c’est un aphorisme soufi.

J.C. : Vous l’expliquez de quelle manière ?

G.E. : Je l’explique un peu comme on pourrait expliquer la phrase de Jésus :

” Si vous ne mourez pas, vous ne vivrez pas. ” C’est vraiment notre croix, c’est ce balancement qu’il y a entre la vie de l’ego et la vie du moi supérieur. Alors, effectivement, quand l’ego pleure, l’esprit se libère.

J.C. : Giani Esposito, tout à l’heure je vous demandais si vous étiez bien dans votre époque, vous m’avez répondu : ” oui, très bien “. Mais comment vous la trouvez, notre société ?

G.E. : Au point de vue politique ? au point de vue…?

J.C. : A tous les points de vue.

G.E. : A tous les points de vue.

J.C. : Est-ce qu’elle est bonne à vivre ?

G.E. : Elle change beaucoup, et heureusement. Elle est… c’est un creuset extraordinaire je trouve.. C’est la moins stable qui soit, c’est la plus en danger, c’est donc celle qui nous engage le plus, je trouve…

J.C. : Vous ne collez pas à elle ?

G.E. : Celle qui nous met le plus à vif… Je ne colle pas… si. Mais j’essaie d’épouser son changement, son devenir, si vous voulez.

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