Radioscopie – Giani Esposito – 27/04/1970 – Page 3

 

J.C. : Vous ne pensez pas qu’avec quelques siècles de retard…

G.E. : Comment ?

J.C. : Quelques siècles en retard, ça aurait été un domaine pour vous.

G.E. : Ah non ! Je ne crois pas au hasard. Je pense que si je suis incarné dans cette époque, c’est qu’il y a une raison, c’est que je suis prêt pour la vivre avec ses difficultés, ses atouts. Il y a des atouts formidables à notre époque.

J.C. : Giani Esposito, il y a chez vous une rigueur, un dépouillement, est-ce que c’est voulu ? Est-ce que c’est normal ?

G.E. : Non. Vraiment, le dépouillement m’est naturel. Je suis après coup conscient que c’est parfois cocasse. Je viens d’enregistrer un troisième trente-trois tours alors que le premier avait joui de l’orchestration de Charles Ravier et de l’accompagnement de Barthélémy Rosso. J’étais donc entouré par de très bons musiciens et j’avais tout ce que je voulais. Là, je l’ai fait tout seul. J’ai besoin de nudité si vous voulez. De m’assumer pleinement, sans fioritures.

J.C. : J’ai l’impression que si vous avez plongé dans la chanson, c’est parce que c’était là le seul domaine où vous pouviez vous expliquer, car dans le cinéma, dans le théâtre vous étiez un esclave.

G.E. : Oui, dans la mesure où je n’ai jamais, jamais joué un rôle qui me convient parfaitement. J’ai toujours joué avec une corde de moi-même, jamais les six.

J.C. : On ne vous faisait pas confiance ?

G.E. : Ce n’est pas çà. Ca ne s’est pas trouvé. Je crois qu’il y a une raison. Si je ne tourne plus de film depuis pas mal d’années, c’est pour me permettre de faire autre chose.

J.C. : C’était voulu ?

G.E. : Voulu, oui, pas par moi…

J.C. : C’était inscrit dans les astres ?

G.E. : Voilà, c’est çà, sûrement !

J.C. : Dans quelle catégorie de chanteurs vous vous rangez ? Un troubadour peut-être ?

G.E. : Oui ! Peut-être…

J.E. : Dans le sens noble…

G.E. : La chanson… vous savez que je chante depuis longtemps.

J.C. : Je le sais.

G.E. : J’ai même commencé mon métier de comédien pendant le festival d’Arras. Je ne sais pas si vous vous souvenez, c’était André Reybaz qui avait créé ce festival, c’était peut-être le premier avec celui d’Avignon, et je jouais la comédie et j’avais composé de la musique et je chantais pour cette pièce. Vous voyez, ça remonte loin. C’était en 1950 ou 51, je ne sais plus. Après, j’ai chanté à l’Ecluse.

J.C. : C’est la grande époque !

G.E. : Oui, il y avait aussi bien Dufilho que Fabbri, que Barbara…

J.C. : Et lorsque je dis grande époque, je veux dire le temps de la qualité.

G.E. : Ca l’est encore aujourd’hui !

J.C. : Giani Esposito, vous avez dit une fois : “je veux écrire des chansons pour les hommes emmurés en eux-mêmes”.

G.E. : Oui, dans une chanson j’ai dit cela.

J.C. : Oui, mais enfin, ça concerne un peu tout le monde ?

G.E. : Je pense que nous sommes emmurés, d’abord par notre orgueil.

J.C. : Prisonniers ?

G.E. : Oui. Voilés, si vous voulez. Je crois que le mot prison n’est peut-être pas très juste. On est voilé, plutôt, il suffirait de nettoyer au fond beaucoup de couches qu’il y a en nous. C’est pour ça qu’on peut bien s’entendre tous ensemble. Je suis sur que c’est une question de couches, d’épaisseur de couches.

J.C. : Vous êtes celui qui croit, celui qui cherche et s’émerveille. C’est beaucoup pour un seul homme.

G.E. : Non, nous en sommes tous là vous savez, je crois.

J.C. : Lorsque vous parlez de l’amour cosmique, cela a quel prolongement ?

G.E. : L’amour a des degrés, il me semble, et ça va de l’amour le plus bestial jusqu’à l’amour le plus impersonnel et c’est toujours la même force, mais qui se manifeste sous des formes différentes.

J.C. : Cette passion que vous avez pour tout ce qui est spirituel, c’est une recherche de l’ Absolu ?

G.E. : Sûrement, oui.

J.C. : C’est à la fois Dieu, Krishna ?

G.E. : Oui, Jésus. Je suis très hérétique dans ce domaine. Pour moi, Jésus n’est pas le seul fils de Dieu. Je pense que Bouddha en était un, Krishna en était un. Ce sont des incarnations divines qui nous aident à nous diriger, qui nous encouragent. Si c’était le seul fils de Dieu, alors ce serait très décourageant à ce moment-là.

J.C. : Si vous deviez vous reconnaître d’une religion puisque vous les avez toutes ?

G.E. : Je n’ai pas de religion particulière. Je ne me sens pas d’une religion particulière, pas même que je me sens d’un parti particulier. Je me sens de… cette grande fraternité qu’est l’Humanité.

J.C. : Lorsque vos vous frottez aux autres acteurs, aux autres chanteurs, vous n’en retirez pas…

G.E. : Chanteurs, j’en connais peu. Acteurs, j’ai de très très bons camarades. Je ne peux pas dire que j’ai des amis, mais j’ai de très bons camarades.

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