Radioscopie – Giani Esposito – 27/04/1970 – Page 7

 

J.C. : Giani Esposito, vous avez toutes les qualités qui font un bon moine, ou alors un bon adepte d’ashram par exemple…

G.E. : Non, je ne crois pas. Non, parce que j’aime le combat, j’aime la vie, je ne peux pas dire la vie publique, je sors peu. Ça c’est autre chose mais c’est pas la vie ça. Les boites de nuit c’est pas la vie. J’aime être avec les autres. Je suis assez laïc, là aussi, contrairement à ce qu’on a pu écrire… Je crois à une dimension spirituelle de l’homme mais je me sens profondément laïc. Je ne crois pas au couvent en ce qui me concerne. Je respecte ceux qui y vont bien sûr, mais ce n’est pas mon combat à moi.

J.C. : Quelles sont les choses qui vous révoltent ?

G.E. : Vous savez, il y a… je crois que c’est dans St Paul, il y a une phrase, en tout cas ça fait partie de la pensée chrétienne :  » ne vous opposez pas au mal.  » Et cette phrase m’a beaucoup fait réfléchir. Si on la comprend à un premier degré, c’est monstrueux :  » laissons le mal envahir le monde « , alors que cela veut dire : concentrez-vous sur les dons, les valeurs positives, parce que si vous vous opposez au mal vous l’augmentez. Si, par exemple, il y a quelque chose en vous qui vous déplaît, si vous y pensez tout le temps ou si vous voulez l’attaquer de front, alors vous êtes fichu, cette chose augmente, augmente et vous êtes terrassé. Par contre, si vous vous attaquez à certaines valeurs positives que vous reconnaissez en vous, alors l’autre diminue par un jeu très subtil de…

J.C. : Il faut accepter le mal ?

G.E. : C’est très profond, on ne nous l’apprend pas à l’école et, justement, cela, je l’ai appris dans cet enseignement.

J.C. : Qu’est-ce qu’on vous a appris à l’école ?

G.E. : A tricher. Le bachot, c’est la plus vaste entreprise de tricherie qui soit.

J.C. : Vous l’avez passé quand même ?

G.E. : Oui, je l’ai passé, bien sûr. Quand on pense qu’on part dans la vie en porte à faux comme ça, c’est douloureux. Imaginez, vous devez faire semblant de savoir quelque chose. C’est mathématiquement impossible, à part d’être un génie, de savoir quelque chose au bachot. Seulement, la chance aidant et le vernis et le bagout, le poids humain, enfin, tout ce que vous voulez, le charme, ça passe. La mémoire, ce qui n’a rien à voir avec la culture, ni le savoir. Or, nous partons dans la vie marqués par cette épreuve initiatique négative. C’est maintenant que je réfléchis, quand je vois mes neveux qui passent un bachot, je me dis :  » tiens, c’est curieux, comme nous commençons mal, alors que si vraiment un jour on arrivait à être là avec notre poids spécifique, avec ce que nous savons, ce que nous ne savons pas… Ca, c’est formidable.

J.C. : Giani Esposito, à quel moment sait-on que l’on peut avoir un commencement de savoir ?

G.E. : Vous savez, je crois que c’est comme les couleurs. A quel moment le rouge passe à l’orange, l’orange au jaune, on ne le sait pas. Mais, à un certain moment, on se trouve dans le jaune. Je ne crois pas que…Pour certains, il y a peut-être un déclic, ou la grâce ou le coup de foudre, ça, c’est possible. Moi, non, je ne suis pas un être…

J.C. : On ne sait jamais…

G.E. : Je n’ai pas eu de coup de bâton comme dans le Zen.

J.C. : J’ai l’impression, Giani Esposito, que vous n’êtes pas exactement ce que vous auriez aimé être.

G.E. : Ah oui, vous avez cette impression ? Actuellement je suis, non… je suis… je ne me vois pas autrement. Il est évident que je ne suis pas content de moi, je tends vers quelque chose. Je vous ai dit tout à l’heure que j’aimerais être au-delà… libre face aux événements de la vie, pouvoir être aussi bien dans la richesse que dans la pauvreté. Et je ne peux pas prétendre avoir atteint ce niveau. Ca, d’accord. Mais ce n’est pas un conflit, je tends vers cela et on verra bien.

J.C. : il y a un conflit tout de même, parce qu’il y a chez vous une grande humilité et en même temps une vanité pour ce que vous pourriez être.

G.E. : Une vanité ? … si vous le dites, c’est possible.

J.C. : Non, je le crois. Je ne l’affirme pas.

G.E. : Je me suis souvent posé la question :  » qu’est-ce que l’humilité et qu’est-ce que la vanité.  » L’humilité, c’est certainement si on arrive … il faut d’abord tenir le cap tout le temps. On est de nature pas humble. Et je crois que les plus grands saints… le grand danger, la dernière épreuve, c’est l’orgueil. D’après tous les témoignages autorisés dans la matière, c’est l’orgueil. Donc, on ne peut pas dire :  » moi je suis humble « , ce serait mentir ou ne pas se connaître. Donc, je dois certainement être tenté par l’orgueil ou être orgueilleux comme tous le monde. Mais c’est un cap qu’il faut tenir…et il y a une mesure. On peut, si vous voulez, si on a la… on peut rester éveillé autant qu’on le peut, tenir le cap vers des êtres toujours qui sont au-dessus de nous. A ce moment là, vraiment, il n’y a pas de quoi être orgueilleux. Si on regarde des gens qui sont soit à son même niveau, soit plus bas, alors là on se croit Dieu sait quoi. Mais si on regarde des êtres, et c’est facile quand même, qui sont plus haut que nous, qui parle d’orgueil ? Ce n’est pas des petites chansons qu’on fait qui peuvent brusquement faire le poids devant un seul mot, un seul geste d’un être vraiment spirituel.

J.C. : Giani Esposito, dans la chanson, il y a quelques interprètes de qualité, d’importance Quels sont ceux auxquels vous voudriez ressembler ?

G.E. : Alors là, je vais… mais tant pis, je vais vous paraître orgueilleux. Je ne veux ressembler à aucun de ceux que je connais, surtout parce que je ne veux pas… je ne suis pas un chanteur. Je ne cherche pas à devenir un chanteur parmi les chanteurs, je voudrais que la chanson me permette d’être un homme public. C’est deux choses différentes.

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