Papiers collés
Georges Perros

Papiers collés III

Georges Perros

Georges Perros a bien connu Giani Esposito. Une vielle amitié qui remontait à l’époque où Giani habitait au dessus de la poterie de Norbert et Jeannette Pierlot. Dans le troisième tome de sa série “papiers collés”, livres composés d’un bric-à-brac des réflexion, de portraits, de lettres, etc, il lui consacre un chapitre. Ce livre, le numéro 3, a été publié après la mort de Georges Perros, ce qui donne un relief particulier à ce qu’il y écrit au sujet de Giani.

Georges Perros – papiers collés
Collection L’imaginaire  Gallimard 1978

ISBN : 2-07-073963-5

Giani Esposito était un homme de gravité. Ce qui n’excluait pas le jeu, au contraire. Il avait du goût pour le beau, l’étant lui-même. Or on sait ce que nous pensons du beau. Rien ne résiste, aujourd’hui, à cette pensée, moins destructrice qu’agacée. Il était plus musicien – discours privilégié, quel qu’en soit le difficile accès – que poète, c’est à dire homme aux prises avec ce que tous les hommes ont en partage. Il arrive que nous nous chantions des airs. Mais comment les écrire ? Il m’a assez vite semblé que Giani oscillait entre ces deux pôles irrationnels, au plus haut degré de leur sollicitation. Il peignait aussi. On appelle ça être doué. Soit. C’est ce qu’il y a de plus dangereux au monde.On se sort mieux d’une laideur héréditaire, d’un demeuré injuste, que d’une facilité au niveau simple du regard, qui, elle aussi, est injuste, puisqu’elle laisse croire qu’elle est suffisante.

Giani a souffert d’être beau, d’être doué. Il voulait retrouver, se retrouver, ou tout simplement trouver cette solitude assez privilégiée des hommes jamais seuls, parce qu’occupés. Par autre chose qu’eux-mêmes. C’est la grâce. Je ne l’ai pas vu tendre à l’hindouisme sans inquiétude. Mais rien là d’étonnant. Son rêve eût été de décrocher, de s’élever jusqu’à cette zone quasiment immatérielle, qui rend l’individu que nous sommes bien forcé d’être, bon an mal an, au-dessus de la mêlée, mais sans apolitisme élémentaire. Il croyait, certainement, à la perfectibilité de l’homme, grâce à certaines manières d’être. Aussi loin de la drogue que de l’existentialisme souffert. Plutôt adepte d’une éthique forçant les taureaux du quotidien à rendre gorge et âme, quoique issus de ce quotidien. D’où son intelligence était voyageuse, cherchait son lieu de dépliement. Je ne le reverrai jamais ailleurs qu’au tout début de notre affection mutuelle, rue Saint-Dizier, où il habitait chez Norbert et Jeannette Pierlot ; là, au-dessus du jeu athlétique des poteries, des tours, du kaolin malaxé, dans cette sécheresse humide, il était à sa place. Il s’essayait. Au mieux. Avec déjà, je ne sais quoi de sombre, mais comme c’est facile à dire, hélas, aujourd’hui. Il était déjà en route, laissant à penser qu’elle – la route – serait riche mais imprévue. C’est qu’il n’est pas aisé de tout sacrifier à rien. Disons rien.

Les quatrains qu’il nous donne à lire après cette terrible basculade témoignent de sa hantise calmée, sont comme de subtiles paraboles pièges, prises à l’instant, au frêle édifice, ou mur, farci de graffiti à déchiffrer. Ils disent son goût du mystère, son intelligence avec l’ennemi, son ombrageuse légèreté. Sa mort m’a stupéfié. Mais la lecture de ses poèmes m’en laisse comprendre, soupçonner, en lui, l’appréhension prématurée. Si j’ose dire. Car il me manque. Mais je suis de moins en moins horrifié par la mort. Comme si le champ de l’existence n’avait plus besoin des hommes pour se perpétuer. L’utopie ne doit pas être autre chose. Comme si nous avions déçu quelqu’un qui comptait pour nous. Qui ? Pourquoi ? Comme si nous avions bousillé quelque chose. Quoi ?

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