Télérama

Numéro 2345

Publié le 21 décembre 1994

Nécrologie parue dans Télérama n°2345 du 21/12/1994 à l’occasion de la diffusion des Misérables (mercredi 28/12/94 – La Cinquième – 13h30).

 

Nécrologie parue dans Télérama n°2345 du 21/12/1994 à l'occasion de la diffusion des Misérables
Merci à Elisabeth Cabaud pour le document

Les bonheurs de Giani Esposito

Longtemps après, on ne l’oublie pas. Est-ce dû à sa silhouette de jeune premier, à sa voix grave et douce, à son visage tout brun ou à ses yeux de braise ? Qu’importe. Giani Esposito possédait ce je-ne-sais-quoi qui frappe, qui marque, qu’on remarque. Au théâtre, au cinéma ou à la télévision, il ne se contentait pas d’endosser la peau de ses personnages, il leur donnait de sa présence. Dans la version plutôt traditionnelle des Misérables, tournée par Jean-Paul Le Chanois, il est un Marius idéal. Qu’il se promène avec Cosette dans les jardins du Luxembourg, s’engage sur les barricades ou veille sur la vieillesse de Jean Valjean, il incarne le romantique parfait dont rêvait Victor Hugo. Un utopiste sans peur et sans reproche.

Plus de vingt ans après sa mort précoce, à 43 ans, c’est d’ailleurs l’image que l’on garde de Giani Esposito, ce charmeur qui savait tout faire avec le même bonheur, dessiner, composer, écrire, chanter, sculpter. Il était un peu mystique, un peu décalé, ses poèmes semblaient refléter un autre monde. L’Orient, d’ailleurs, le fascinait, Tagore et Aurobindo voisinaient dans son anthologie avec Teilhard de Chardin. Il rêvait d’amour, dévorait la vie, chantait la mort. En 1957, Les Clowns, son premier disque, où l’on découvrait son timbre étrange et ses mots susurrés, fut un succès énorme. Et, sur scène, Raymond Devos s’en souvient encore, qui le chante régulièrement : “S’accompagnant d’un doigt ou quelques doigts, le clown se meurt/ Sur un petit violon et pour quelques spectateurs/ D’une petite voix comme il n’en a jamais eu/Il parle de l’amour et de la joie sans être cru…

La chanson est triste, déchirante, comme Giani Esposito lui-même, chez Bunuel, dans Cela s’appelle l’aurore, où il jouait un assassin par désespoir. Il oscillait sans cesse entre humour et gravité, fantaisie et sérieux, French Cancan, de Renoir, et Polyeucte, au Vieux Colombier, Paris nous appartient, de Rivette, et Huis clos, où il fit ses grands débuts. Si cette diffusion des Misérables pouvait être l’amorce d’une (re)découverte… •

Gérard Pangon