Télérama

Numéro 1252

Publié le 12 janvier 1974

Nécrologie de Giani Esposito par Jacques Bertrand

GIANI ESPOSITO

Il était comédien, il dessinait, il écrivait, il composait, il chantait. Cheveux bruns, yeux noirs brillant d’un étrange sourire, voix grave et douce, il était beau, Giani Esposito. Il était triste aussi, souvent, de cette tristesse qui cache infiniment d’amour, infiniment d’humour. « Quand le cœur pleure sur ce qu’il a perdu, l’esprit rit sur ce qu’il a trouvé », disait-il. « Chaque disque d’Esposito est un mets rare — et épicé — qu’il faut savourer tout son soûl », écrivait Paul Meunier dans Télérama en 1970, et Jacques Marquis notait dans notre précédent numéro : « Il est urgent que l’académie Charles Cros institue un prix du disque le plus saugrenu de l’année et le décerne sans plus tarder à Giani Esposito ».

Acteur au cinéma dans French Cancan, de Renoir, en 1953, dans Les Misérables, de Jean-Paul Le Chanois, dans Paris nous appartient, de Jacques Rivette, puis au théâtre et à la télévision, Giani Esposito avait fini par se consacrer presque exclusivement à la chanson. Le Clown se meurt, Un noble rossignol à l’époque Ming, Chacun a son désert, Quand vous aurez lancé votre première pierre, récemment A titre posthume… ce sont seulement quelques titres d’un répertoire d’une folle fantaisie et d’une grande intensité.

Son langage, apparemment simple ou loufoque, était profondément fraternel et s’il donnait parfois l’impression de chanter dans le désert, ce n’était jamais pour du vent. Volontiers mystique, poète, musicien baroque, Giani Esposito savait aussi faire rire. Il prenait même son métier de «clown» très au sérieux. Ce que les mauvais clowns et les gens « sérieux » ne lui pardonnaient pas. Ses passages sur les ondes ou à la télévision étaient trop rares pour démentir l’incompétence ou le manque de courage des programmateurs.

Il est mort la semaine dernière d’une hépatite virale et d’une tumeur au cerveau. Il aurait fait volontiers une petite chanson là-dessus, sur fond de mandolines, lui qui chantait « la satisfaction d’être un mammifère, debout sur scène et plus longtemps sous terre… »

Jacques Bertrand