La semaine radiophonique Numéro 37 Publication : 14 septembre 1958 |
Contient un article de Guy-Noël Aznar
GIANI ESPOSITO : son nom résonne, bref et cinglant, comme celui d’un héros sicilien. Quand on le prononce il évoque des senteurs de maquis ou des sons de guitare. Aventurier, chanteur de fados, qui est-il ?
Avant tout un être étrangement sensible et délicat. Un personnage romantique, ne paraissant vivre que pour l’art ; plongé dans la musique, décidé à participer au « mouvement des idées » de son siècle. Soucieux de poésie, curieux de peinture et comédien. La comédie, oui c’est là le mode d’expression qu’il a choisi. J’allais écrire « par hasard », oubliant la passion qui l’anime. Mais quoi, n’a-t-il pas été déjà sculpteur. Ne devient-il pas compositeur…
Rendons-lui visite.
Les poteries et les céramiques étalées et prêtes à cuire dans le grand four, surprennent dans cette cour du XVI’ arrondissement. Nous sommes chez un potier. Enjambé trois plats et quelques statuettes, il suffit de grimper un minuscule escalier tournant pour découvrir le refuge de Giani Esposito. Découverte est bien le mot. Le désordre discret, là, ce tabouret bas, ici ces quelques céramiques de couleurs vives, l’arrangement des lieux, transportent aussitôt dans une atmosphère de retraite, d’atelier d’artiste, de bohème. Nous sommes à cent mille lieues de l’avenue Kléber qui écoule, à trente mètres, ses voitures chromées. Dans un coin, un piano droit sur lequel traînent quelques partitions.
Giani fait du piano. Seul dans ce silence de loge, il déchiffre les fugues de Bach ou les nocturnes de Chopin. Il compose aussi. Et en octobre va sortir chez « Polydor » son premier disque dans lequel il chante lui-même les refrains dont il a composé musique et paroles. Des textes simples, poétiques, se rapprochant le plus possible des chansons issues du folklore français, pures comme des spirituals.
Physiquement, Giani est un Latin magnifique, à la démarche souple, aux cheveux noirs et lisses qu’il ramène en frange sur son front. Vêtu de velours gris, côtelé, il parle avec douceur, avec calme comme un rêveur que l’on serait venu surprendre.
Venu en France à dix-huit ans il était encore tout imprégné des souvenirs de son Italie natale où il avait fait ses études générales, puis commencé son apprentissage de sculpteur, à Rome. Maintenant, c’est Paris qui l’accueillait. Il avait décidé de tenter sa chance dans la comédie. Non pas pour la gloire, l’argent, le succès, mais parce que cet homme sensible et passionné a besoin de se donner à une oeuvre artistique. Michel Vitold qui le guida dès ses débuts et le conseilla pendant les années de labeur où l’on apprend la technique du métier, avait deviné dès les premières auditions « le feu sacré » qui l’animait.
Aux Noctambules (devenu maintenant salle de cinéma…) il joua « Doua Rosita » de Lorca. Puis, à l’occasion d’une lecture publique d’une pièce de théâtre — en compagnie de Juliette Gréco —, Jacqueline Audry qui était dans la salle le remarqua et lui offrit sa première chance au cinéma dans « Huis-Clos ».
Il tourna ensuite dans « French-Cancan », « Cela s’appelle l’aurore » et « Pardonnez nos offenses ». Puis chaque rôle en amenant un autre un peu plus important, il vient d’interpréter dans « Les Misérables » (dernière reprise de « l’immortel chef-d’œuvre »…) le rôle du jeune premier timide, l’amant de Cosette : Marius.
Cette année il vient de faire connaissance avec les caméras impressionnantes de la télévision. « Impressionnantes, me dit-il, parce qu’elles vous dévorent le visage et sondent le cœur sans rémission. Mais au bout de quelque temps on s’y habitue un peu, et malgré la technique, les projecteurs et le trac, on « sent le public ». « Par cet oeil de Cyclope, comme dit Jean Cocteau, passe un fluide, naît une tension, une émotion. »
Avec Claude Loursais il a tourné « Jeanne d’Arc », de B. Shaw, où il était ce jeune moine qui se laisse convaincre de la sincérité de Jeanne. Puis « L’équipage au complet ». Avec Claude Barma il a joué dans « La fille du photographe » et « Uriel »
de Jacques Deval. Enfin il vient d’interpréter un rôle d’Adélaïde la pièce écrite spécialement pour la télévision par Jean-Louis Curtis et qui, n’ayant pu être télévisée en direct du fait des grèves, a été « kinéscopée » et sera diffusée en septembre. Il interprète là un ambitieux sans scrupule, un infect Rastignac qui ne recule devant aucun scrupule pour réussir. C’est donc un rôle plein de désinvolture et où il pourra faire preuve de toute son adresse.
Ce qui m’a frappé en Giani Esposito c’est sa grande culture et l’intérêt qu’il porte pour tout ce qui touche aux arts, quels qu’ils soient.
Nous avons bavardé deux heures durant et bien peu de temps nous nous sommes égarés sur des sujets autres que peinture, musique, comédie, littérature. Rien d’autre je crois ne l’intéresse vraiment. Je ne le crois guère sportif. Je ne pense pas qu’il s’inquiète de politique ou des questions internationales. Il m’a paru être un personnage « intemporel », « inactuel ». Je veux dire qui ne se laisse pas broyer par son temps, qui représente « l’artiste » au travers de toutes les époques.
Ce n’est pas là un rôle qu’il joue mais la caractéristique de son tempérament,
Guy-Noël Aznar